E. Roméo Spencer & Lily Joy Spencer

Depuis que Lily Joy Spencer avait débarqué dans sa vie, son cousin se sentait investi d’une espèce de défi. Et de taille, s’il-vous-plait ! Son nouveau but, à titre provisoire, était de faire de la jeune femme une Lady, présentable en société. Si la condition de son oncle était qu’il épouse sa fille illégitime afin d’hériter de la Spencer Corp., celle de Roméo était de lui ôter ses mauvaises habitudes, ses manières de cochonne et ses expressions impolies. De ce fait, il aurait moins de mal à honorer sa part du contrat. Quant à Lily Joy, Roméo – et probablement son oncle – considérait qu’elle n’avait rien à dire. Son géniteur l’avait tirée de la merde dans laquelle elle se trouvait pour lui offrir une éducation, de l’argent et un mari. C’était un cadeau suffisant, aux yeux de Roméo, pour qu’elle l’accepte sans donner de conditions. Cela faisait donc plusieurs mois que le jeune homme se forçait à cohabiter avec sa cousine, fraichement débarquée dans sa vie. Depuis la rentrée des classes, à dire vrai. Roméo avait en effet abandonné ses études de Gestion pour rejoindre Aster, l’université des Lady & leurs Majordomes. Lily Joy et lui étaient en première année depuis septembre 2012. Encore une condition de Sir son Oncle, à laquelle le futur héritier avait dû se plier pour espérer un jour être à la tête de la Spencer Corp. Sans oublier le Serment, qui le liait à son adorable cousine pour la vie. Prêté le jour de leur entrée à l’école, devant une salle pleine à craquer. Et dans cette salle se trouvaient énormément de filles de bonnes familles, auxquelles le brun avait été contraint de renoncer, à cause de Lily Joy. C’était peut-être bien ça, le pire : sa vie sentimentale était un vaste désert, depuis leur entrée à Aster. Il ne savait pas ce qu’il en était pour sa fiancée, mais lui n’avait plus eu de copine depuis un bon moment… étant donné que toutes les filles qui auraient pu l’intéresser savaient qu’il était fiancé à la Lady à laquelle il avait offert ses services. Et pas question d’entretenir une quelconque relation avec Lily Joy… même s’il la trouvait absolument magnifique, sans l’avouer à quiconque. Non, à la réflexion, c’était bien ça le pire : être fiancé à une fille magnifique, qu’il détestait, et avec laquelle il était sûr et certain que rien ne se passerait jamais. Pourtant, dans d’autres circonstances… si elle n’avait pas été sa cousine, fille de droguée, mal élevée,... Roméo savait qu’il l’aurait draguée. Il suffisait de la regarder pour comprendre pourquoi. Malheureusement, la vie en avait décidé autrement. Il était donc inutile d’y penser.

Ce matin-là, Roméo s’était levé à l’aube pour se préparer avant le petit-déjeuner. En tant que Majordome, il devait s’occuper, avec ses camarades étudiants, de préparer les repas. Certains cuisinaient, d’autres servaient les Lady lorsqu’elles arrivaient pour manger, et les derniers rangeaient tout quand le repas était terminé. Normalement, les Majordomes servaient toutes les Lady sans distinction. Mais ce n’était pas le cas de Roméo, qui avait prêté Serment, et était donc le seul à servir Lily Joy. Une fois habillé, il était donc parti dans la cuisine pour préparer à la jeune femme un petit-déjeuner, dans lequel il prendrait un malin plaisir à cacher du fromage – chose qu’elle détestait. Le jeune homme était calé sur les horaires de sa cousine, si bien que quand il terminait de cuisiner, en temps normal, Lily Joy s’installait tout juste dans la salle à manger. Or, ce matin-là, quand il débarqua avec le repas de la jeune femme sous cloche, Roméo constata qu’elle n’était pas là. Il fit donc demi-tour et posa le plat dans la cuisine. Il attendit une dizaine de minutes, posté près de la porte. Pas de Lily Joy en vue. Elle ne s’était pas réveillée, il en était quasiment sûr ! Du coup, soupirant, il prit la direction des dortoirs des filles. Normalement, l’accès était interdit aux garçons, mais il n’y allait que pour s’assurer que Lily serait à l’heure en cours. Rien de bien méchant. En chemin, Roméo défit le nœud de sa cravate et tira légèrement sur celle-ci pour se libérer un peu le cou, ayant l’impression d’étouffer. Il la remettrait avant de retourner en cuisine. Mais là tout de suite, il avait besoin de respirer un peu. Et tant pis pour l’air débraillé que ça lui donnait. De toute façon, à cette heure-ci, il était quasiment sûr de ne croiser personne. Les autres filles étaient réveillées, elles.

L’aspirant Majordome poussa la porte de la Chambre de Lily Joy, sans même se donner la peine de frapper. Il n’y avait personne pour le voir agir ainsi, c’était la seule chose qui comptait. Même s’il prenait très à cœur son rôle de Majordome, ainsi que la mission de faire d’elle une jeune femme présentable, il lui était impossible d’être sympathique avec elle lorsqu’ils étaient seulement tous les deux. La présence d’autres personnes, en revanche, faisait de lui un vrai petit agneau. Sauver les apparences était plus important que tout le reste – même que la répulsion qu’il éprouvait à devoir servir sa cousine. Sans même vérifier si la jeune femme était toujours dans son lit, Roméo gagna la fenêtre à grandes enjambées et tira les rideaux, inondant par la même occasion la chambre de lumière. Le futur Majordome se tourna ensuite vers l’intérieur de la pièce et cria : « LILY JOY SPENCER, TU SAIS QUELLE HEURE IL EST ? ». D’où qu’elle soit, elle l’entendrait forcément. Et tant mieux si c’était depuis les dernières limbes de son sommeil.

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